Sonia Sieff met les Françaises à nu
La fille du photographe Jeanloup Sieff poursuit son travail sur le nu. Dans son premier livre, elle capture un corps féminin aussi naturel que possible.
Propos recueillis par Mathilde Gardin
Les féministes américaines ont été les premières à proclamer « Sisterhood is powerfull » (La sororité est source de pouvoir) dans les années 70. Cette puissance, la photographe Sonia Sieff la couche sur papier glacé dans son premier livre, Les Françaises (éd. Rizzoli). De son père, Jeanloup, qui en 1971 a signé la fameuse série de clichés d’Yves Saint Laurent nu, la photographe de mode de 37 ans semble avoir hérité le sens affuté du portrait. Et l’héritière, collaboratrice de Vogue, Elle et autres magazines, a choisi pour son premier livre de déshabiller les femmes.
Elles sont 32. Et pas n’importe lesquelles : « ses » Françaises, amies célèbres ou anonymes dont le corps est mis en scène et à nu. Sans fard. La beauté est naturelle, la sensualité évidente et la féminité à vif. Sonia Sieff poursuit ici son travail sur le nu en capturant les corps dans toute leur diversité, sur les toits de l’Opéra de Paris ou de la Cité radieuse de Marseille, dans un cinéma, au bord d’une falaise ou dans l’intimité d’un appartement. « Les Françaises », qui réunit 155 photos de 32 femmes en autant de chapitres, aura nécessité quatre années de travail. Une vingtaine de clichés sont exposés à la Galerie A à Paris jusqu’au 29 avril.
Le Point.fr : Comment est né ce projet de déshabiller les femmes ?
Sonia Sieff : J’adore le nu, le corps. Je voulais faire des portraits déshabillés. Le portrait, c’est la clé de tout. Et le nu c’est ce qui vieillit le mieux, autrement les photos sont datées. Or, je voulais qu’elles passent l’épreuve du temps, je voulais effacer l’indication du vêtement. Je voulais faire l’inverse de ce que je fais le reste de l’année. Ce ne sont pas des femmes qui ont l’habitude de poser, je n’avais pas envie qu’elles aient des automatismes. Cela traduit un violent désir de rêverie, de poésie, de quelque chose qui soit hors du temps.
Vous travaillez beaucoup pour les magazines de mode, pourtant vous avez choisi de photographier le corps féminin sans filtre…
Même mes photos de mode, je les retouche très peu. C’est la vieille école : la photo, c’est la prise de vue. La retouche, c’est comme la chirurgie esthétique, ça ne marche pas. Un cerne c’est beau, un bourrelet c’est touchant. Beau ne veut pas dire parfait.
Pourquoi avoir choisi les Françaises ?
Française, Parisienne, c’est ce que je suis. Pour un premier livre, on est bon quand on reste proche de soi. J’ai beaucoup pensé à Nan Goldinpour ce projet. Pour The Ballad of Sexual Dependency, qui est assez trash, elle est restée proche de ce qu’elle était et c’est pour cela que ça a marché.
Dans d’autres pays, les femmes ne m’auraient pas donné la même chose. Ici, aucune n’est arrivée maquillée. Une Américaine serait venue avec un brushing et son corps hypertonique. J’ai choisi des corps beaux, mais naturels. J’ai fait des interviews pour des magazines américains, et pour eux, ce qui définit les Françaises, c’est une espèce de naturel. On n’est pas dans le challenge permanent, mais dans un léger laisser-aller. Mais j’aurais pu obtenir des choses incroyables avec toutes les femmes. D’ailleurs, mes photos, ce sont des femmes de cœur, pas forcément des femmes de nationalité française.
Photographier des femmes nues, sans artifice, c’est une démarche militante ?
Je voulais rendre hommage aux femmes en les photographiant nues sans les chosifier. Les magazines porno chic, comme Lui, ça me dégoûte. Les gamines posent comme des idiotes. En tant que photographe, on a cette responsabilité de faire attention. Ce n’est pas sexy, ce n’est pas beau. Il faut qu’on soit fières, c’est un acte féministe ! Il y a quelque chose de terrible dans la façon dont les femmes ont appris à poser devant les caméras masculines. On n’est pas en train de faire l’amour, c’est ridicule, déplacé, démodé.
Les Françaises, Sonia Sieff, février 2017, éditions Rizzoli, 160 pages, 49 euros.
Exposition “Les Françaises” à la Galerie A., 4 rue Léonce Reynaud, 75016 Paris, jusqu’au 29 avril. Entrée libre.
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